La Revue de la prospective et de l’innovation de Lexis Nexis a publié, dans son édition de mai 2023, un article d’Olivier Peraldi, co-fondateur de l’Institut Chiffres & Citoyenneté, sur l’évolution de la justice dans un contexte de recours de plus en plus prégnant aux technologies et applications de l’intelligence artificielle. Un enjeu majeur pour le justiciable et, plus largement, le citoyen dans la défense de ses droits et intérêts.
L’intelligence artificielle est désormais omniprésente, dans la vie professionnelle comme dans la vie privée, dans les entreprises comme dans les services publics. Si l’IA promet une justice plus performante, cette dernière ne le sera qu’en garantissant les conditions de la confiance.
1. Étrange formulation que celle du Conseil d’État ce 30 août 2022, jour de présentation de son étude sur « Une stratégie nationale de développement de l’intelligence artificielle dans les services publics ». Commençant par souligner que les craintes que suscite l’IA sont « souvent exagérées »[1] – admettant par là-même et « en creux » qu’elles peuvent parfois ne pas l’être –, la Haute juridiction, néanmoins prudente, invite les pouvoirs publics à s’engager « par étape » pour une IA « de confiance », et établit pour cela pas moins de sept principes à respecter, à commencer par la primauté humaine, pour finir par la soutenabilité environnementale et l’autonomie stratégique, en passant par la performance, l’équité et la non-discrimination, la transparence, et enfin, la sûreté (cybersécurité). Optimiste mais néanmoins lucide, le Conseil d’État insiste sur la nécessité de « créer les conditions de la confiance et doter la France des ressources et de la gouvernance à la hauteur de ses ambitions ».
Une telle liste de précautions vaut bien un long discours… Ainsi, chacun a-t-il bien compris que si les craintes peuvent parfois être exagérées, quelques garde-fous seraient bienvenus. Me souvenant de mes cours en fac de droit, j’imaginais notre Huron au Palais-Royal interrogeant les hauts magistrats sur les finesses de l’argumentation juridique, cette fois-ci non par les virtuosités sur le recours pour excès de pouvoir[2], mais au regard des subtilités du « je t’aime moi non plus » des magistrats envers une intelligence dite « artificielle » bien que très réelle.
2. IA. Deux lettres qui contiennent plus qu’elles ne résument un monde déjà très présent et en constant devenir. Les uns sont enthousiastes, les autres inquiets ; tous sont partagés entre, d’une part, l’exaltation devant tant de progrès liés à l’IA et, plus encore, par l’ampleur des promesses d’une technologie à fort potentiel d’usages et, d’autre part, une attentive réserve face à d’éventuelles conséquences, pour certaines encore insoupçonnées, à l’encontre des droits individuels et des libertés publiques, du fait de la mécanique et de la puissance d’analyse de procédures numériques inédites.
3. Soulignons quand même, avant d’aller plus loin, que l’approche précautionneuse des hauts magistrats doit beaucoup à l’imprécision de la transposition française du concept anglo-saxon d’« intelligence » qui a plus à voir, Outre-Manche, avec la froide combinaison de données de natures et origines diverses, et susceptible d’approfondir l’analyse d’une situation ou la compréhension d’un fait – chère par exemple à services secret britannique bien connu de James Bond, le MI 6 -, plutôt qu’à l’acception communément admise sur le continent de la subtile complémentarité d’une immanence sensitive avec une certaine rationalité de l’esprit humain, le tout tirant sa substance de la pensée. Or, il semblerait que l’algorithme ne pense pas. Pas encore… Pour autant, encore faudrait-il s’accorder, avant toute conclusion définitive ou provisoire, sur la signification du terme penser. À n’en pas douter, ChatGPT aurait d’ores et déjà une réponse.
Savoir raison garder
4. Pour l’heure, sachons raison garder mais, comme nous y invite le Conseil d’État, sans pour autant baisser la garde. Particulièrement dans le domaine de la justice et du traitement du justiciable dans la défense de ses droits et intérêts (…)
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Olivier PERALDI
Co-fondateur de l’Institut Chiffres & Citoyenneté
Ndlr : Olivier Peraldi est co-fondateur de l’Institut Chiffres & Citoyenneté (C&C), écrivain, son troisième roman, Les Cinq Nuits d’insomnie (Orizons, 2022), est paru en septembre dernier.
[1] Conseil d’État, S’engager dans l’intelligence artificielle pour un meilleur service public : étude et communiqué, 8 août 2022.
[2] J. Rivero, Le Huron au Palais-Royal ou réflexions naïves sur le recours pour excès de pouvoir : Dalloz, Chronique – VI, p. 37-40, 1962.